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La legislation tunisienne et les libertés individuelles 

Trois ans après la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, la nouvelle Constitution tunisienne a été adoptée. La Constitution s'inscrit, comme l'affirme son préambule, dans « les objectifs de la révolution, de la liberté et de la dignité, révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 ». Elle dit accorder une place réduite à l'islam. Ce n’est pourtant qu’en apparence que les deux articles ( 22 ) : « protection de la dignité de la personne » et (23) : « le droit à la vie privée et à la confidentialité des correspondances » sont appliqués, le code pénal apposant une criminalisation anticonstitutionnelle avec des lois allant à l’encontre des principes de libertés fondamentales.

Subséquemment, ces antagonismes font émerger certaines frustrations au sein de la population et remettent sur le tapis des questions, certes taboues mais essentielles, autour de libertés pourtant consacrées par la Constitution.

La loi et les manifestations d'affection publiques :

Les jeunes tunisiens font donc face à une contradiction de taille : chacun est libre de disposer de son corps à sa guise mais parallèlement certaines pratiques sexuelles 

 restent susceptibles d’être condamner par la loi à l’instar des deux articles226 et 226 bis qui encadrent les relations amoureuses de par leur contenu imprécis et vaporeux :

 Article 226.
- Est puni de six mois d'emprisonnement et de quarante huit dinars d'amende, quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d'outrage public à la pudeur.

Article 226 bis. 
- Est puni de six mois d'emprisonnement et d'une amende de mille dinars quiconque porte publiquement atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique par le geste ou la parole ou gène intentionnellement autrui d'une façon qui porte atteinte à la pudeur.
Est passible des mêmes peines prévues au paragraphe précédent quiconque attire publiquement l'attention sur une occasion de commettre la débauche par des écrits, des enregistrements, des messages audio ou visuels, électroniques ou optiques.

Si la loi tunisienne n'interdit pas explicitement les baisers, les articles 226 et 226 bis du Code pénal sont assez vagues pour permettre la répression. Il en résulte qu'il est passible de prison le fait de s'embrasser dans la rue et d'avoir des relations sexuelles hors mariage chez soi, dans un hôtel… . De ce fait certaines pratiques sont devenues courantes pour les jeunes couples tunisiens qui prennent soin de réserver deux chambres d’hôtel, une qu’ils occuperont pendant leur séjour et l’autre servira de couverture. Incapable de définir "les bonnes mœurs", la loi laisse l'appréciation à la police, au procureur et au juge. Il est assurément que la loi d’autant moins tolérante pendant la période de jeûne et de ramadan parce qu’il serait possible de rompre son jeûne en voyant deux personnes s’embrassaient. Plusieurs de ces cas ont d’ailleurs été enregistrés comme le confirme Le juriste Wahid Ferchichi. Les issus de ces affaires sont pour le moins ambigüe puisque ce genre d’affaires a tendance à diviser l’opinion publique, certains soutiennent d’autres critiquent mais le pouvoir reste entre les mains du juge.

Des solutions controversées :

Cette absence de réelle liberté et cette inaptitude à pouvoir véritablement disposer de son corps engendrent d’autres déviations et infractions aux lois dont la pratique de plus en plus répandue du mariage « orfi », plus précisément le mariage coutumier qui permet de s’unir en toute discrétion avec seulement deux témoins sans que la famille des deux conjoints soit avisée.  L’Orfi est formellement interdit par la loi et notamment par le droit musulman car il ne remplit pas toutes les conditions du mariage. Dans le droit musulman, le mariage doit faire l’objet de la publicité qui est la preuve de l’union qui est consignée dans un contrat. C’est donc une pratique illégale qui n’a aucune valeur sur le plan juridique. Les jeunes ou étudiants qui s’y intéressent sont généralement issues de milieux conservateurs, généralement modestes ; ils se cachent derrière le voile religieux pour pouvoir entamer leurs rapports sexuels en dehors du lien du mariage réel et légal. C’est une version « Halal » de la liberté sexuelle que ces jeunes pratiquent avec la lecture de la Fatiha, ils se donnent une bonne conscience devant Dieu.

Vivre en couple sans être Mari et Femme ?

L’opacité législative et la faiblesse des textes de loi conjecturent  des flottements et incertitudes autour de la légalité de certains procédés dont le concubinage.

La loi n° 57-3 du 1er août 1957, réglementant l'état civil, stipule, dans son article 36, que l’union qui n’est pas conclue conformément à l'article est nulle. En outre, les deux époux sont passibles d’une peine de trois mois d’emprisonnement. Les époux, dont l’union a été déclarée nulle et qui continuent ou reprennent la vie commune,sont passibles d’une peine

de six mois d’emprisonnement. Cette loi n’interdit pas directement le concubinage :  La colocation est tolérée, à condition de prouver qu’il n’y a pas de rapports sexuels entre les membres d’une colocation, et que la femme ne perçoit pas d’argent en échange de sa cohabitation avec un homme. Pour cela, il suffit d’avoir chacun sa propre chambre, son lit, ses affaires… Ce sont donc les relations sexuelles hors mariage qui sont ici réprimandées. La police des mœurs existe mais ne peut en aucun cas agir seule. Les rares cas de concubinages avérés et punis ont fait suite à des délations de la part de voisins. Cependant dans la majorité des cas les concubins se retrouvent dans l’obligation de se marier. Diabolisé, passé sous silence, le concubinage est montré du doigt. Péché et trahison suprême, il a souvent été assimilé à l’adultère, à l’interdit et est en conséquence punie par la loi.

Orientation amoureuse au coeur du débat

Une autre loi toujours en contradiction avec la nouvelle constitution est exercée conformément à l’article 230 du code pénal qui est :

 

« أعوام ثلاثة مدة بالسجن مرتكبه يعاقب المتقدّمة بالفصول المقرّرة الصور من صورة أي في داخلا يكن لم إذا المساحقة أو اللواط »

 

« La sodomie, si elle ne rentre dans aucun des cas prévus aux articles précédents, est punie de l’emprisonnement pendant trois ans. »

 

A contrario des autres articles de loi cités plus haut celui-ci est très explicite et condamne formellement les pratiques homosexuelles. Il est pourtant nécessaire de mentionner les deux versions arabe et française car elles diffèrent. En effet si la version française prohibe la sodomie, la version arabe proscrit l’homosexualité et masculine et féminine ( Al liwat Aw Al Moussahaka ).  Or c’est le texte arabe qui fait foi devant la loi. Les deux types d’homosexualité sont criminalisés par la loi tunisienne. Il est nécessaire de bien définir ce texte : Il s’agit effectivement tout acte consenti entre deux adultes consentants et en privé. Si l’acte a lieu en public, l’article 230 ne s’applique pas. Si un des adultes n’est pas consentant, l’article 230 ne s’applique pas. De même si les deux personnes ne sont pas adultes, l’article 230 ne s’applique pas.

Cette loi tient du domaine de l’absurde, en premier lieu comment affirmer l’existence d’un acte sexuel entre deux adultes consentants et qui plus est dans la sphère privée ? Et bien les autorités sont en droit de procéder aux tests exigibles ce qui signifie entrer dans l’endroit privé pour prouver un acte intime. Ce qui constitue une première violation des Droits Humains. Outre cette intrusion dans l’espace privé, les accusés subissent des tests physiques violant alors l’intégrité de la personne et la dignité humaine.

Cette loi est incontestablement anticonstitutionnelle, l’article 23 de la constitution étant clair au sujet de la l’intégrité physique et de la dignité humaine. Autre aspect, celui de l’égalité, en effet Tous les citoyennes et citoyens sont égaux devant la loi et par la loi, sans discrimination, et il est clair que la catégorisation du fait de l’orientation sexuelle est une discrimination.

Sans entrer dans les commentaires et les avis subjectifs, un constat s’impose : ces lois sont fortement liberticides et, comparativement à ce qui se passe sous d’autres cieux dans des pays dont nous voulons atteindre les niveaux de progrès de développement, de liberté et de démocratie, la Tunisie aura sûrement des pas de géant à accomplir.

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